Le cimetière de Montigny été 1993

ETE 1993 

Quand maman est morte, je me suis amusée à négocier tous les prix avec les pompes funèbres comme un marchand de tapis en réaction à un commercial qui à la mort de papa nous a dit quelque chose comme : "Si vous aimez votre père..."

Mais on s’en fout des prix, ce qui m’a terriblement blessée après coup, c’est l’impression que je donnais de prendre la mort de maman par-dessus la jambe.

C’est vrai que tout le monde voulait en finir pour repartir à Paris tellement la douleur était insupportable. C’est humainement insupportable de la voir inanimée dans un lit. Tout le monde était effondré.

Ma vie sentimentale était ca-tas-tro-phique, j’étais déjà KO mais personne ne l’a vu parce que je tchatchais beaucoup, je roulais dans des super bagnoles différentes tous les six mois, personne n’a vu que j’avais des soucis qui me dépassaient complètement et que je n’étais absolument pas en état d’assumer la perte de maman. Et toute la famille s’est appuyée sur moi.

Je n’étais pas du tout en état d’assumer ce deuil. Je ne pouvais pas tout porter, c’était trop lourd. Mais heureusement que j’étais là. Et si j’ai pas bien fait les choses, ce n’est pas de ma faute, j’ai fait ce que j’ai pu.

Mais je sentais que quelque chose n’allait pas et je suis revenue au cimetière un soir après le boulot, avec un dictaphone que je voulais poser sur la tombe des parents pour savoir ce que maman avait à me dire. J’avais lu ça dans un livre, un prêtre prétendait que les morts nous parlent et qu’on peut capter leurs voix avec du matériel Hi-fi.   

Je voulais savoir et j’ai été ser-vie.   

Ce jour-là, LE CIMETIERE TOUT ENTIER s’est DRESSE AU DESSUS DE MOI comme Dieu en colère dans l’Ancien Testament.  Une ENORME TÊTE NOIRE sortant du ciel avec des gens en bas, en panique et courant dans tous les sens pour échapper à la colère divine.  

LE CIMETIERE ENTIER A LEVE SON BOUCLIER POUR M’EMPECHER D’ENTRER !

Jean-Paul dira que je lis trop de livres   . Et il a raison.   

J’avais trois ans. Je venais d’apprendre à lire le vietnamien et je voulais approfondir ce que je venais d‘apprendre. Maman faisait des listes de vocabulaire, une sorte de mini dico vietnamien français et c’est comme ça que j’ai acquis les rudiments pour lire les livres de Sciences Nat et de Maths en français de mon grand-frère et comme je n’avais rien d’autre que la Bible en vietnamien, je me suis attaquée à un monde é-blou-is-sant. :-) :-) 

Dans  l’Ancien Testament, Dieu n’était pas tendre, il noyait tout le monde, quand il était en colère, il valait mieux se trouver dans le bon camp. Et c’est normal : les gens n’étaient pas des gentils. Leurs conditions de vie sur terre étaient tellement difficiles qu’ils s’en foutaient de crever. Une simple rage de dent, et c’était l’enfer sur terre. La médecine existait peut-être déjà mais elle était surtout végétale donc beaucoup moins efficace que le Doliprane. Quand les gens se cassaient une patte, on les jetait aux lions pour soulager utilement leurs souffrances. La vie était trop dure pour être désirable et pendant longtemps, nous mener la vie très dure a été le seul moyen pour Dieu de nous contenir.

A un moment de l’évolution, des personnes ont commencé à penser que Dieu était trop dur et la nécessité d’un changement dans la relation avec Dieu s’est fait sentir.

Et Jésus est arrivé. :-) :-) 

Il émanait de lui quelque chose qu’on qualifie de mystérieux parce que c’est vraiment très puissant mais Jésus n’avait rien de mystérieux, il avait juste un charisme du Feu de Dieu  Normal. C’est pas le Fils de son Père pour rien. :-) :-) :-) Il attirait un monde fou. :-) Les gens traversaient les mers et les montagnes et venaient le voir de partout parce que Jésus était LE MEDECIN QUI TOMBAIT A PIC. :-) :-) :-)

Les gens souffraient le martyr et pas que des rages de dents. Ils crevaient d’épidémies et de catastrophes plus ou moins surnaturelles, les malédictions n’étaient pas rares.

Et Jésus faisait des miracles. :-) :-) :-) 

Il guérissait les gens et marchait sur l’eau. :-) 

Mais Jésus faisait peur aussi parce que s’il pouvait guérir, il pouvait aussi utiliser son pouvoir pour tuer…

Je ne me disais pas que cela avait vraiment existé et peut-être que mon frère m’a dit que l'histoire se déroule en Egypte (dans le sens Proche-Orient) mais il a dû me le dire en vietnamien et j’ai zappé parce que les mots vietnamiens sont vraiment trop compliqués à écrire et à retenir. 

Mon grand-frère (normalement, je devrais dire mon frère aîné mais en vietnamien on dit grand frère comme on dit petit frère) ne lit jamais autre chose que des trucs de voitures et c’est même pas la peine de lui parler de mon roman autobiographique, les romans sont (ou étaient ?) implicitement interdits au Vietnam parce que parler de sentiment est considéré comme obscène. Ce n’était pas un péché de lire des romans mais c’était très limite, presque pornographique. Ils sont pas nets, les Vietnamiens … Quand j’avais 13 ou 14 ans, je lui avais parlé du roman que je n‘écrirais jamais, un truc russe comme Michel Strogoff ou le Dr je ne sais plus comment, celui qui était amoureux de… Lara ( ?), un jour Lara, quand le vent tournera, un jour Lara, nous nous sommes quittés… Dr Jivago !  Cela ne lui a pas du tout plu. 

Comme je suis née subversive, j’ai lu la Bible comme un roman. 

Et je me suis su-per bien marrée. 

Comme je suis une rationnelle, j’ai classé l’événement du cimetière de Montigny dans ma liste des choses explicables et sûres : c’était le premier nuage d’un énorme orage qui aurait pu prendre naissance n’importe où et le hasard a fait que ce jour-là, il a pris naissance juste au-dessus du cimetière et je suis arrivée au moment où sa taille était de la même taille que celle du cimetière. 

C’était un gros nuage qui se trouvait là par hasard et ça n’a rien à voir avec moi, j’ai pris peur parce que ça fait peur mais cela ne veut strictement rien dire.

En même temps, ça veut quand même dire quelque chose parce que je me suis toujours sentie la bienvenue dans tous les cimetières du monde.